
Le secteur de la distribution alimentaire fait l’objet d’une surveillance accrue des autorités face aux pratiques abusives qui peuvent affecter les producteurs et les consommateurs. La législation française et européenne a considérablement renforcé l’arsenal juridique pour sanctionner ces comportements déloyaux. Cet encadrement vise à rééquilibrer les relations commerciales et à garantir une concurrence loyale. Examinons les principaux dispositifs mis en place et leur application concrète dans ce domaine stratégique.
Le cadre légal des sanctions contre les pratiques abusives
Le droit français et européen a progressivement mis en place un arsenal juridique conséquent pour encadrer les pratiques commerciales dans le secteur agroalimentaire. La loi EGalim de 2018, complétée par la loi EGalim 2 de 2021, a notamment renforcé les sanctions applicables aux distributeurs en cas de non-respect des règles.
Le Code de commerce prévoit désormais des amendes pouvant aller jusqu’à 5 millions d’euros pour les personnes morales en cas de pratiques restrictives de concurrence. Ces sanctions peuvent être doublées en cas de récidive. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) est l’autorité chargée de contrôler l’application de ces dispositions.
Au niveau européen, la directive 2019/633 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire a harmonisé les règles entre États membres. Elle prévoit une liste de pratiques interdites et impose aux États de mettre en place des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ».
Ce cadre légal vise à sanctionner notamment :
- Les déréférencements abusifs de fournisseurs
- Les pénalités logistiques injustifiées
- Les demandes de compensation de marge
- Le non-respect des délais de paiement
L’objectif est de rééquilibrer les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs, souvent marquées par un rapport de force déséquilibré.
Les sanctions financières : un levier dissuasif
Les sanctions financières constituent le principal outil pour dissuader les pratiques abusives dans la distribution alimentaire. Leur montant a été considérablement revu à la hausse ces dernières années.
La loi EGalim 2 a notamment porté le plafond des amendes administratives à 5 millions d’euros pour les personnes morales, contre 375 000 euros auparavant. Ce montant peut être doublé en cas de récidive dans un délai de deux ans.
Pour les pratiques les plus graves, comme l’obtention d’un avantage sans contrepartie proportionnée, l’amende peut atteindre 5% du chiffre d’affaires réalisé en France par l’auteur des pratiques. Cette disposition vise particulièrement les grands groupes de distribution, pour lesquels une amende fixe pourrait avoir un effet dissuasif limité.
La DGCCRF dispose également de la possibilité d’infliger des astreintes journalières, pouvant aller jusqu’à 50 000 euros par jour, pour contraindre une entreprise à cesser des pratiques illicites.
Ces sanctions financières peuvent être prononcées à l’issue d’une procédure administrative, sans nécessité de passer par un tribunal. Cette procédure plus rapide permet une action plus efficace des autorités.
Enfin, en cas de condamnation, la décision peut être publiée aux frais de l’entreprise sanctionnée. Cette « name and shame » constitue une sanction réputationnelle qui peut s’avérer très dissuasive pour les grands groupes soucieux de leur image.
Les sanctions pénales : un arsenal complémentaire
Bien que moins fréquentes, les sanctions pénales constituent un volet complémentaire de l’arsenal juridique contre les pratiques abusives dans la distribution alimentaire. Elles visent principalement les cas les plus graves de fraude ou de tromperie.
Le Code de la consommation prévoit ainsi des peines pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende pour les pratiques commerciales trompeuses. Ces sanctions peuvent être portées à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis en bande organisée.
Les infractions au Code rural et de la pêche maritime, comme la tromperie sur la nature ou l’origine des produits, sont également passibles de sanctions pénales. Les peines peuvent atteindre deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
Dans les cas les plus graves, le juge peut prononcer des peines complémentaires comme :
- L’interdiction d’exercer une activité professionnelle
- La fermeture définitive ou temporaire de l’établissement
- L’exclusion des marchés publics
Ces sanctions pénales, bien que rarement appliquées dans leur forme la plus sévère, constituent une épée de Damoclès pour les dirigeants d’entreprises. Elles contribuent à renforcer l’effet dissuasif du dispositif global de sanctions.
La responsabilité pénale des personnes morales peut également être engagée, avec des amendes pouvant atteindre 1,5 million d’euros pour les infractions les plus graves.
L’application concrète des sanctions : exemples et jurisprudence
L’application concrète des sanctions pour pratiques abusives dans la distribution alimentaire a donné lieu à plusieurs décisions marquantes ces dernières années. Ces cas illustrent la volonté des autorités de faire respecter la réglementation.
En 2020, l’enseigne Carrefour a été condamnée à une amende de 1,75 million d’euros par la DGCCRF pour des pratiques commerciales abusives envers ses fournisseurs. L’enquête avait révélé des demandes injustifiées de ristournes et des pénalités logistiques excessives.
Le groupe Intermarché a quant à lui été sanctionné en 2021 à hauteur de 150 millions d’euros par l’Autorité de la concurrence pour avoir utilisé sa centrale d’achat internationale pour contourner la loi française sur les négociations commerciales.
Ces décisions montrent que les autorités n’hésitent pas à prononcer des sanctions financières conséquentes, y compris contre les plus grands acteurs du secteur.
La jurisprudence a également précisé l’interprétation de certaines notions clés :
- La Cour de cassation a confirmé en 2019 que le déséquilibre significatif dans les relations commerciales pouvait résulter de conditions générales d’achat imposées unilatéralement.
- Le Conseil constitutionnel a validé en 2018 le principe des sanctions administratives prévues par la loi EGalim, jugeant qu’elles respectaient le principe de légalité des délits et des peines.
Ces décisions contribuent à clarifier le cadre juridique et à renforcer la sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs du secteur.
Vers une régulation plus efficace du secteur agroalimentaire
L’évolution du cadre juridique et l’application de sanctions plus sévères marquent une volonté de réguler plus efficacement le secteur de la distribution alimentaire. Cette tendance s’inscrit dans un contexte plus large de rééquilibrage des relations commerciales et de protection des acteurs les plus vulnérables de la chaîne d’approvisionnement.
Plusieurs axes se dégagent pour renforcer l’efficacité de cette régulation :
Le renforcement des moyens de contrôle : La DGCCRF a vu ses effectifs et ses pouvoirs d’enquête renforcés ces dernières années. Cette tendance devrait se poursuivre pour assurer une surveillance efficace du marché.
La coopération internationale : Face à des groupes de distribution opérant à l’échelle européenne, voire mondiale, la coopération entre autorités nationales devient cruciale. Le réseau ECN (European Competition Network) facilite déjà cette coordination au niveau européen.
L’adaptation aux nouvelles pratiques : L’essor du e-commerce et des places de marché en ligne pose de nouveaux défis réglementaires. Le cadre juridique devra s’adapter pour prendre en compte ces évolutions.
La promotion de l’autorégulation : Encourager les acteurs du secteur à adopter des codes de bonne conduite et des mécanismes de résolution amiable des litiges peut compléter utilement l’action des autorités publiques.
Ces évolutions devraient contribuer à instaurer des relations commerciales plus équilibrées et transparentes dans le secteur agroalimentaire, au bénéfice de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, du producteur au consommateur.