
Face à l’urgence écologique, la justice se dote d’armes pour lutter contre la pollution des eaux. Quels sont les fondements juridiques permettant de sanctionner les pollueurs ? Décryptage des mécanismes pénaux en jeu.
Le cadre légal de la protection des ressources hydriques
La loi sur l’eau de 1992, codifiée dans le Code de l’environnement, pose les bases de la protection juridique des milieux aquatiques en France. Elle affirme que l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation et que sa protection est d’intérêt général. Ce texte fondateur a été complété par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, qui renforce les outils de lutte contre la pollution.
Au niveau européen, la directive-cadre sur l’eau de 2000 fixe des objectifs ambitieux de bon état écologique et chimique des masses d’eau. Elle a été transposée en droit français et influence fortement notre arsenal juridique en la matière. Le principe pollueur-payeur, inscrit dans la Charte de l’environnement de 2004, constitue un autre pilier de la responsabilisation des acteurs.
Les infractions pénales liées à la pollution des eaux
Le Code de l’environnement définit plusieurs délits spécifiques à la pollution des eaux. L’article L216-6 sanctionne le fait de jeter, déverser ou laisser s’écouler dans les eaux des substances nuisibles à la santé, à la faune ou à la flore. Les peines encourues sont de 2 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
L’article L432-2 réprime plus spécifiquement les atteintes à la faune piscicole, avec des peines pouvant aller jusqu’à 18 000 euros d’amende. Le non-respect des prescriptions techniques imposées aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) est également sanctionné pénalement.
En cas de pollution grave, les infractions de mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal) ou d’empoisonnement (article 221-5) peuvent être retenues. Les peines sont alors beaucoup plus lourdes, allant jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle.
L’élément matériel : caractériser l’atteinte à l’environnement
Pour établir l’infraction, le parquet doit démontrer la réalité de l’atteinte au milieu aquatique. Les inspecteurs de l’environnement de l’Office français de la biodiversité (OFB) jouent un rôle crucial dans la constatation des faits. Ils procèdent à des prélèvements, des analyses et rédigent des procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire.
La caractérisation de la pollution s’appuie sur des critères physico-chimiques (pH, température, présence de polluants) mais aussi biologiques (mortalité piscicole, perturbation des écosystèmes). Les normes de qualité environnementale fixées par la réglementation servent de référence pour évaluer la gravité de l’atteinte.
La jurisprudence a précisé que le délit de pollution des eaux est une infraction instantanée : elle est constituée dès le rejet, même si ses effets se prolongent dans le temps. Cette qualification facilite la répression en évitant les débats sur la prescription.
L’élément moral : de la négligence à l’intention coupable
La plupart des infractions en matière de pollution des eaux sont des délits non intentionnels. La faute d’imprudence ou de négligence suffit à engager la responsabilité pénale du pollueur. Le juge apprécie si l’auteur a manqué à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Pour les personnes morales, la responsabilité pénale peut être engagée pour des fautes d’organisation ou de gestion ayant rendu possible la pollution. Les dirigeants peuvent être poursuivis personnellement s’ils ont commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient ignorer.
Dans certains cas, l’élément intentionnel peut être retenu, notamment lorsque la pollution résulte d’un rejet volontaire de substances toxiques ou d’une violation délibérée d’une prescription réglementaire. Les peines sont alors aggravées.
L’imputabilité : qui peut être poursuivi ?
Le principe de personnalité des peines implique que seul l’auteur direct de l’infraction peut être poursuivi. Toutefois, en matière environnementale, la jurisprudence a élargi le champ des responsables potentiels.
Ainsi, le propriétaire du terrain où se produit la pollution peut être mis en cause, même s’il n’en est pas directement l’auteur. De même, le maire d’une commune peut être poursuivi pour des rejets polluants provenant du réseau d’assainissement, en tant que responsable du service public.
Les personnes morales (entreprises, collectivités) sont fréquemment visées par les poursuites. Leur responsabilité pénale peut être engagée pour les infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants. Les peines d’amende sont alors multipliées par cinq.
Les causes d’irresponsabilité et d’atténuation de la responsabilité
Certaines circonstances peuvent exonérer totalement ou partiellement l’auteur d’une pollution des eaux de sa responsabilité pénale. La force majeure, définie comme un événement imprévisible, irrésistible et extérieur, peut être invoquée. Par exemple, une pollution causée par des pluies diluviennes exceptionnelles pourrait relever de ce cas de figure.
L’état de nécessité peut également être reconnu lorsque l’acte était nécessaire à la sauvegarde d’un intérêt supérieur. Ainsi, le déversement d’eaux usées non traitées pour éviter l’explosion d’une station d’épuration pourrait être justifié.
Enfin, le juge peut retenir des circonstances atténuantes liées au comportement du prévenu après les faits : mise en conformité rapide, collaboration à l’enquête, indemnisation des victimes. Ces éléments sont pris en compte dans le prononcé de la peine.
Les sanctions et leurs modalités d’application
Outre les peines d’emprisonnement et d’amende prévues par les textes, le juge dispose d’un large éventail de sanctions adaptées aux infractions environnementales. Il peut ainsi ordonner la remise en état des lieux aux frais du condamné, l’affichage ou la diffusion du jugement, ou encore l’interdiction d’exercer l’activité à l’origine de la pollution.
La transaction pénale, procédure permettant d’éviter un procès moyennant le paiement d’une amende et la réalisation de travaux de dépollution, est fréquemment utilisée pour les pollutions de moindre gravité. Elle permet une réponse pénale rapide et efficace.
Enfin, la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen a créé une nouvelle peine complémentaire : la mise en conformité. Le juge peut imposer à l’entreprise condamnée de se soumettre à un programme de mise en conformité sous le contrôle d’un mandataire judiciaire.
Face à l’ampleur des enjeux environnementaux, le droit pénal s’affirme comme un outil incontournable de protection des ressources en eau. Son efficacité repose sur une mobilisation accrue des acteurs de la chaîne pénale et une sensibilisation croissante des citoyens à l’importance de préserver ce bien commun essentiel.