Succession digitale: Les nouveaux défis de l’héritage des actifs numériques en 2025

La mort numérique soulève désormais des questions juridiques inédites. En 2025, la valeur mondiale des actifs numériques personnels atteindra 25 000 milliards d’euros selon les estimations de Morgan Stanley. Entre cryptomonnaies, NFT, comptes sur les plateformes et données personnelles, le patrimoine immatériel représente une part grandissante de l’héritage. Le cadre légal français, avec la loi République Numérique de 2016, s’avère insuffisant face à l’évolution rapide des technologies blockchain et du métavers. Cette inadéquation génère un vide juridique préoccupant pour les 68% de Français qui n’ont pris aucune disposition concernant leurs actifs numériques.

Le cadre juridique français face aux actifs numériques en 2025

L’évolution du droit successoral français se confronte à la nature protéiforme des actifs dématérialisés. Le Code civil, dans ses articles 721 à 724, définit traditionnellement la succession comme la transmission des biens, droits et obligations d’une personne décédée. Or, cette conception patrimoniale classique s’adapte difficilement aux actifs numériques, dont la nature juridique reste ambiguë.

La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 avait établi un premier cadre avec son article 40-1, intégré à la loi Informatique et Libertés. Ce dispositif permet aux individus de formuler des directives anticipées numériques concernant le sort de leurs données personnelles après leur décès. Néanmoins, cette avancée demeure limitée, car elle ne concerne que les données personnelles et non l’ensemble du patrimoine numérique.

En 2025, la distinction fondamentale s’opère entre trois catégories d’actifs numériques. Premièrement, les actifs à valeur financière directe (cryptomonnaies, NFT, actions tokenisées) qui s’intègrent au patrimoine successoral classique selon l’article 732 du Code civil modifié par la loi Finances 2023. Deuxièmement, les contenus personnels (photos, messages, documents) qui relèvent du droit moral et de la protection de la vie privée. Troisièmement, les identités numériques (comptes sur plateformes) dont le statut hybride complexifie leur transmission.

Le décret n°2024-156 du 22 février 2024 a instauré un registre national des directives numériques, consultable par les notaires via le fichier central des dispositions de dernières volontés. Cette évolution significative facilite l’identification des volontés du défunt concernant ses actifs numériques, mais ne résout pas les conflits de lois internationales ni les problématiques technologiques liées aux clés cryptographiques.

La jurisprudence récente, notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2023, confirme que les cryptoactifs constituent des biens meubles incorporels soumis aux règles successorales classiques. En revanche, la question de l’accès technique à ces actifs demeure entière lorsque le défunt n’a pas communiqué ses clés privées ou phrases mnémoniques.

Les défis techniques de la transmission des cryptoactifs

La nature décentralisée des technologies blockchain génère des obstacles inédits pour la transmission successorale. Contrairement aux actifs bancaires traditionnels, les cryptomonnaies et tokens ne sont pas détenus par un intermédiaire central mais par celui qui possède les clés privées correspondantes. Cette particularité technique transforme radicalement l’approche successorale.

Le premier défi concerne l’accessibilité. Sans connaissance des clés d’accès, les héritiers se retrouvent face à des actifs techniquement inaccessibles, créant un phénomène de cryptoactifs orphelins. On estime qu’en 2025, près de 125 milliards d’euros de cryptoactifs seront définitivement perdus pour cause de décès sans transmission des accès. Cette problématique a engendré l’émergence de solutions techniques comme les smart contracts successoraux, programmés pour transférer automatiquement des actifs après une période d’inactivité.

Les portefeuilles multi-signatures (multisig) représentent une autre solution technique. Ces dispositifs permettent de configurer l’accès aux actifs numériques de façon à ce que plusieurs personnes détiennent partiellement les droits d’accès. Cette approche de fragmentation cryptographique offre une sécurité accrue mais complexifie le cadre juridique, car elle introduit une forme de propriété partagée non prévue par le droit successoral classique.

La question de la preuve d’existence des cryptoactifs constitue un troisième obstacle majeur. Comment établir avec certitude qu’un défunt possédait des bitcoins ou des NFT particuliers? Les notaires doivent désormais maîtriser les outils d’analyse blockchain (block explorers) pour vérifier l’existence et la valeur des actifs numériques déclarés dans une succession. Le Conseil Supérieur du Notariat a d’ailleurs lancé en septembre 2024 une formation obligatoire pour tous les notaires français sur l’identification et la valorisation des actifs cryptographiques.

Les solutions de séquestre numérique émergent comme une réponse possible à ces défis techniques. Ces services tiers de confiance conservent de manière sécurisée les informations d’accès aux portefeuilles cryptographiques et ne les transmettent aux bénéficiaires désignés qu’après vérification du décès. Néanmoins, cette centralisation contredit l’essence même des technologies décentralisées et soulève des questions sur la pérennité de ces prestataires à long terme.

La fiscalité des actifs numériques dans les successions

L’intégration des actifs numériques au régime fiscal successoral français soulève des questions complexes de valorisation et de qualification. La loi de finances 2023 a clarifié partiellement ce cadre en intégrant explicitement les cryptoactifs dans l’assiette des droits de succession, mais de nombreuses zones grises persistent en 2025.

La première difficulté réside dans la valorisation successorale. L’article 761 du Code général des impôts prévoit que les biens sont évalués à leur valeur vénale au jour du décès. Pour des actifs aussi volatils que les cryptomonnaies, cette règle engendre des situations délicates. Un bitcoin pouvant fluctuer de 15% en une journée, la date précise de l’évaluation devient cruciale. La Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) a publié en janvier 2025 une instruction fiscale recommandant d’utiliser la moyenne des cours sur les trois principales plateformes d’échange au jour du décès, apportant une clarification bienvenue.

La territorialité fiscale constitue un deuxième enjeu majeur. Les actifs numériques étant par nature déterritorialisés, leur localisation fiscale soulève des questions inédites. L’administration fiscale française considère désormais que les cryptoactifs sont situés au domicile fiscal du défunt, conformément à la règle mobilia sequuntur personam. Cette position, confirmée par le Conseil d’État dans sa décision du 12 novembre 2024, permet d’éviter les stratégies d’optimisation fiscale reposant sur la délocalisation virtuelle des actifs numériques.

Les Non-Fungible Tokens (NFT) représentent un cas particulier dans le traitement fiscal successoral. Leur double nature – à la fois bien numérique et droit de propriété intellectuelle – complexifie leur qualification fiscale. L’administration fiscale a précisé dans sa doctrine que les NFT sont soumis aux droits de succession classiques sur leur valeur marchande, mais que les droits d’exploitation commerciale attachés à certains NFT peuvent bénéficier du régime spécifique des œuvres de l’esprit prévu à l’article 764 du CGI.

Les tokens de gouvernance, conférant des droits de vote dans des organisations autonomes décentralisées (DAO), posent une question inédite : s’agit-il de simples actifs ou de titres sociaux? La jurisprudence fiscale commence à les traiter comme des titres non cotés, nécessitant une évaluation selon les méthodes traditionnelles d’évaluation d’entreprise, adaptées au contexte décentralisé. Cette approche ouvre la voie à l’application potentielle des pactes Dutreil pour la transmission d’entreprise dans certains cas spécifiques.

Les plateformes numériques face à la mort de leurs utilisateurs

Les géants du numérique ont progressivement développé des politiques spécifiques pour gérer les comptes de leurs utilisateurs décédés. Ces approches, souvent élaborées sans concertation avec les autorités nationales, créent un paysage fragmenté où chaque plateforme impose ses propres règles, parfois en contradiction avec les dispositions légales nationales.

Meta (Facebook, Instagram) a développé le statut de compte commémoratif, permettant de transformer le profil d’un défunt en espace de recueillement numérique. Cette option, activée sur demande d’un proche avec justificatif de décès, fige le compte tout en le maintenant visible. Meta propose aussi la nomination d’un contact légataire qui obtient des droits limités sur le compte après le décès. Néanmoins, cette disposition contractuelle peut entrer en conflit avec les règles successorales françaises, notamment lorsque les héritiers légaux contestent le choix du légataire numérique.

Google a mis en place dès 2013 un gestionnaire de compte inactif, permettant de programmer le partage automatique de données avec des personnes désignées après une période d’inactivité. Cette approche proactive a inspiré d’autres plateformes, mais soulève des questions juridiques complexes, notamment concernant le consentement présumé. La CNIL a d’ailleurs émis en septembre 2024 une recommandation appelant à une harmonisation des procédures de gestion post-mortem des comptes numériques.

Les plateformes d’échange de cryptomonnaies adoptent des positions variables. Certaines, comme Binance ou Coinbase, ont développé des protocoles successoraux spécifiques permettant aux héritiers d’accéder aux actifs du défunt après une procédure de vérification. D’autres maintiennent une position stricte de non-intervention, considérant que la responsabilité de la transmission des accès incombe uniquement à l’utilisateur. Cette diversité d’approches complexifie considérablement le travail des notaires chargés de la liquidation des successions.

Le cas des abonnements numériques (Netflix, Spotify, etc.) illustre une autre facette du problème. Ces services, considérés juridiquement comme des contrats intuitu personae, prennent fin automatiquement au décès de l’abonné. Toutefois, en l’absence d’information sur ce décès, les prélèvements peuvent continuer, créant une situation où les héritiers doivent activement intervenir pour y mettre fin, souvent via des procédures complexes.

Les contenus achetés sur des plateformes comme Apple Store ou Steam soulèvent la question de la propriété numérique. Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 3 juillet 2023 a reconnu la transmissibilité des licences d’utilisation de livres et musiques numériques, ouvrant la voie à leur intégration dans le patrimoine successoral. Néanmoins, l’application pratique de cette décision se heurte aux conditions générales d’utilisation restrictives imposées par les plateformes.

L’émergence des testaments numériques certifiés

Face aux lacunes du cadre juridique traditionnel, de nouveaux outils technologiques émergent pour faciliter la transmission du patrimoine numérique. Le testament numérique certifié représente l’innovation la plus significative dans ce domaine, combinant sécurité cryptographique et reconnaissance juridique.

Contrairement aux directives numériques prévues par la loi République Numérique, le testament numérique certifié ne se limite pas aux données personnelles mais englobe l’ensemble des actifs numériques. Sa particularité réside dans son infrastructure technique : il utilise la technologie blockchain pour horodater de manière infalsifiable les volontés du testateur, tout en respectant les conditions de forme requises par le droit français pour assurer sa validité juridique.

Le décret n°2024-879 du 14 juin 2024 a établi un cadre réglementaire pour ces testaments d’un nouveau genre, en définissant les exigences techniques minimales pour leur reconnaissance légale. Le texte impose notamment une authentification forte du testateur, un chiffrement des données conformes aux recommandations de l’ANSSI, et l’utilisation d’une blockchain publique ou d’un registre distribué officiellement reconnu pour l’horodatage.

Plusieurs solutions ont émergé sur le marché français. La startup LegaChain, fondée par d’anciens notaires, propose une plateforme permettant de rédiger un testament numérique conforme aux exigences légales, incluant la désignation des bénéficiaires pour chaque type d’actif numérique. Le Conseil Supérieur du Notariat a développé NotarChain, un service permettant aux notaires d’enregistrer les testaments de leurs clients dans un format numérique certifié, facilitant leur exécution technique après le décès.

Ces solutions intègrent souvent des mécanismes d’exécution automatisée, grâce à des smart contracts qui déclenchent le transfert des actifs numériques aux bénéficiaires désignés après vérification du décès. Cette automatisation réduit les délais et simplifie considérablement la liquidation de la succession numérique, tout en garantissant le respect des volontés du défunt.

La question de l’interopérabilité internationale de ces testaments numériques reste néanmoins posée. En l’absence d’harmonisation juridique mondiale, un testament numérique valide en France pourrait ne pas être reconnu dans d’autres juridictions. Cette problématique a conduit à l’émergence d’initiatives de standardisation, comme le Digital Legacy Interoperability Protocol (DLIP), soutenu par plusieurs États européens et actuellement en discussion au niveau de la Commission européenne.

L’enjeu principal de ces testaments numériques certifiés réside dans leur capacité à concilier sécurité technique et flexibilité juridique. Ils doivent permettre la transmission des actifs numériques tout en respectant les règles impératives du droit successoral, notamment concernant la réserve héréditaire. Des garde-fous techniques ont été intégrés pour prévenir les tentatives de contournement des dispositions d’ordre public, comme la limitation automatique des transferts en fonction des droits des héritiers réservataires.

  • Caractéristiques essentielles d’un testament numérique certifié conforme au décret 2024-879 : authentification biométrique du testateur, horodatage blockchain infalsifiable, compatibilité avec le fichier central des dernières volontés, mécanismes de révocation sécurisés.
  • Avantages pratiques : transmission automatisée des clés privées, instructions détaillées par type d’actif numérique, possibilité de fractionnement temporel des transmissions, preuve incontestable des volontés du défunt.